Des artichauts aux feuilles bien fermées sur elles-mêmes et armées d'une épine, ça peut sembler rébarbatif. Mais des trésors de cuisine et même de philosophie se dévoilent à qui saura s'outiller de courage et d'un peu d'amour.
Il y a quelque temps, au rayon des légumes de l'épicerie où je me rends régulièrement, je suis tombée sur un étal d’artichauts bien verts, à la forme conique et aux feuilles bien serrées sur elles-mêmes. Beaux comme ils étaient, il n’en fallait pas plus pour que je décide de m’en offrir une douzaine. J’attire votre attention sur «m’en offrir», car c’est véritablement un cadeau qu'on se fait d'acheter une douzaine d'artichauts hors saison; ça fait exploser le budget-légumes! Mais, comme je le dis souvent dans mes ateliers, j’ai un frisson de bonheur quand je vois de beaux artichauts. Et le bonheur, ça n’a pas de prix. Enfin…
Toujours est-il que pendant ma cueillette, j’entendais déjà dans ma tête l’énumération de tous les plats que je pourrais cuisiner avec ma «récolte». Une fois dans ma cuisine, il a fallu que je réduise légèrement la liste des plats qui avaient défilé quelques minutes auparavant dans ma tête. J'avais oublié un détail important : une fois paré, l’artichaut ne nous laisse que son cœur, un bout de sa tige et parfois quelques feuilles tendres au centre. Le cœur c’est bien petit, pourrait-on penser, surtout lorsqu’on le compare à la gigantesque montagne de feuilles vertes et ligneuses qui se forme petit à petit à côté de la planche à découper (à propos de cette montagne de feuilles, voir la note au bas de l'article). Et puis tout ce travail! On se fait mener la vie dure à vouloir atteindre le cœur de l’artichaut. Il noircit nos mains (oxydation très rapide) et nous malmène sans pitié avec ses épines qui nous poinçonnent allègrement le bout des doigts, ce qui nous fait sursauter à chaque fois. Mais qu’à cela ne tienne, sa saveur vaut bien toute la peine qu’on se donne et je n’hésite jamais à me mettre à l’œuvre devant des artichauts, même si je ne cuisine pas ensuite tout ce qui me passe par la tête.
Quand la poésie s'en mêle
Le poète Pablo Neruda semble vouer une affection particulière lui aussi à l'artichaut. J'aime comment il en parle dans cet extrait de l'Ode à l'artichaut (que je vous invite bien sûr à lire intégralement quand le coeur vous le dira).
L’artichaut au coeur tendre s’est vêtu en guerrier, droit, il a construit un petit dôme, il est resté imperméable sous ses écailles [...] puis une écaille après l’autre nous dévêtons le délice et mangeons la pâte pacifique de son coeur vert
Cette jolie métaphore m’a fait réfléchir et philosopher un peu. En ces temps troubles, ça m’arrive pas mal souvent. Je me disais qu'il y a des moments de la vie où l’on pourrait ressembler à l’artichaut qui protège son cœur tendre avec des couches et des couches d’écailles épineuses impénétrables. La métaphore de l’artichaut, lorsqu'on le prépare pour la cuisson, me fait aussi penser à ces passages difficiles que l’on vit parfois (comme si on se faisait poinçonner par des épines!), mais qui ouvrent finalement sur des moments tendres et délicieux. Je pense aussi à des personnes que l’on rencontre, récalcitrantes ou réfractaires, et devant lesquelles il faut s’armer de patience et d’espoir, mais qui ont à coup sûr quelque chose de bon à nous offrir, une fleur.
Ah! l’artichaut philosophe! Philosophie et cuisine, deux éléments qu'il me plaît souvent de combiner dans mon quotidien et que je laisse entrer volontiers lors de mes ateliers culinaires.
Mais avec tout ça, j’ai oublié de vous raconter ce que j’ai cuisiné avec ma douzaine d’artichauts! Tout d’abord, on ne peut pas se passer d’un bon plat de pasta artichauts et ail. Je donne la recette dans cet article publié en août 2020 EN PLEIN CŒUR DE L’ARTICHAUTIÈRE.
Puis, quelques artichauts ont été servis en accompagnement de Saltimboca alla romana (voir photo).
Note : concernant la recette des saltimboca, nous l'offrons lors d'un atelier en présence le 5 avril et lors d'un atelier en ligne le 13 avril prochain. D'autres dates suivront, faites-moi signe si l'intérêt y est.
Mais voici comment j'ai préparé mes artichauts. Je fais chauffer une gousse d’ail hachée et une ABONDANTE quantité de persil frais dans l’huile d’olive. Lorsque ça commence à sentir bon (et croyez-moi ça va sentir bon!) j’y jette mes quartiers d’artichauts bien parés. Je laisse le tout prendre le goût quelques secondes (il ne faut pas que l'ail brûle), puis je verse un peu d’eau (env. ¼ tasse), une pincée de sel et du poivre. Je laisse cuire pendant une dizaine de minutes en ajoutant de l’eau très graduellement. L’idée étant de ne pas avoir à égoutter à la fin. Il ne restera que des artichauts agrémentés d'un enrobage crémeux d'ail et de persil. Le beau dans tout ça, c’est que cette même technique qu'on appelle en italien trifolati (cuisson avec ail, persil et huile d'olive) peut être appliquée à toutes sortes de légumes (fleurettes de brocoli ou de chou-fleur, courgettes, etc.). Les gens autour de la table vont se sentir choyés lorsque vous leur direz qu'ils vont manger des broccoli trifolati, ou des champignons trifolati, etc. Pour moi, en tous cas, ça sent et ça goûte l’Italie.
Avec les six artichauts qu’il me restait j'ai préparé une crème d’artichauts et ail que j’adore tartiner sur un petit craquelin à l’heure de l’apéro. On peut même ajouter par-dessus du speck que l’on a fait griller au four. Voir la recette ici.
MIAM!
Bien que fermés sur eux-mêmes et menaçants avec leurs épines, ces magnifiques artichauts ont été très généreux avec moi. C’est peut-être en raison de tout l’amour que je leur porte. Si l'envie vous prend de les apprivoiser en pleine saison, venez vivre une immersion totale lors d'une activité culinaire avec nous directement dans une artichautière à la fin du mois d’août prochain. Les détails seront publiés sur le site et dans une infolettre au courant de l'été.
Je souhaite que, comme moi, vous vous laissiez tenter par l’aventure «parfois épineuse» que nous réservent les artichauts si vous en voyez prochainement en épicerie. Ils nous récompensent toujours de notre travail en nous offrant un peu plus que leur cœur puisqu'en bonus, ces philosophes nous invitent à un brin de réflexion.
Au plaisir,
Lucie
Note : Aux personnes qui, comme moi, ont un peu mal au coeur de jeter toutes les feuilles d'artichauts, je viens de découvrir que l'on pouvait se préparer une tisane excellente pour épurer le foie. Il s'agit de bien laver les feuilles et de les faire bouillir pendant 15 minutes (prévoir 40 g de feuilles pour 250 ml d'eau). On laisse ensuite reposer pendant 10 minutes. Au moment de boire, on peut y ajouter un peu de miel pour adoucir le goût.
Désolée, je n'ai pas eu l'occasion de l'essayer encore, mais je me promets de le faire. Une nouvelle aventure d'artichauts m'attend!
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